Publié dans Conte, Histoire, Podcast

Barbu de ville raconte #2

Cette semaine je te raconte l’histoire improbable d’un bonhomme Untel entre la fictionn et la réalité.

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Publié dans Chronique, Conte, Histoire, Lachute

Bilou et le chinois

André « Bilou » Robitaille est mort dans l’anonymat total ou presque en mars 1983 à l’âge de 100 ans au creux du p’tit Canada.

« Bilou » appartient au mythe! Il aura été le meilleur batailleur de rue du comté d’Argenteuil jusqu’aux limites de l’Outaouais! Il est le fils spirituel de Joseph Favre mieux connu sous le pseudonyme de Jos Montferrand! Bilou Robitaille est né aux limites du p’tit Canada avant qu’on l’appelle ainsi, d’une mère absente et d’un père alcoolique.

Il aura été (1)cageux presque toute sa vie. Il habitait chaque lettre du mot homme. Certains vieux dans le coin de Mont-Laurier en parle encore aujourd’hui comme d’une bête à poings nus, d’un surhomme aux limites de la légende! Bilou n’était pourtant pas un géant, n’avait pas des mains gargantuesques ni une carrure à intimider. Mais comme dirait les jeunes dans le vent en 2018, Bilou avait le (2)swag . Il était d’une rapidité inégalée et (3)narfé comme pas un! Et pour le peu de temps qu’il a été à la petite école, Bilou Robitaille n’a jamais reculé devant un (4)Boulé.

André Robitaille a été pendant un temps débardeur à la p’tite semaine au port de Montréal! Et le temps qu’il aura passé là-bas est encore relaté aujourd’hui par les historiens du vieux port. André avait le coude léger et faisait souvent la tournée des buvettes une fois le travail terminé!

En 1906, à l’âge de 23 ans, un Bilou fringant offrait des claques sa yeule à qui le voulait bien! Il est connut et reconnut que le p’tit gars du p’tit Canada pouvait se battre pour une couple de bill du Dominion. Un certain soir, un certain dimanche, une horde de (5)Shiners avait suivi la rumeur jusqu’à la table ronde de Bilou! Les Shiners avaient bu dans chaque buvette en chemin pour finalement arriver à sa table!

La légende dit que André « Bilou » Robitaille fils de Siméon a levé sa table au bout de ses bras pis l’a lancé sur les trois Shiners. Les trois Irlandais se sont retrouvés sur le cul avec la honte de coucher sur le dos avec eux!

Bilou aurait pris le plus gros par le califourchon et l’aurait lancé par la seule fenêtre du devant de la taverne! Par la suite, il aurait demandé une bière au barman, aurait calé la bière pis pris le deuxième pauvre Shiner et l’aurait lancé par ladite même fenêtre! Le troisième pleurait comme une madeleine. Bilou l’a levé de terre avec ses deux bras de Robitaille, l’a regardé dans les yeux et lui a donné une petite claque sur l’épaule en lui disant d’aller rejoindre sa gang et lui a dit: « My name is André Robitaille but you can call me Bilou! »

Il y a cette fois dans le camp de bûcheron à Mont-Laurier pas loin du Lac Malpic, un ours noir gargantuesque traînait par là! On parlait de cet ours comme d’une machine à déchiqueter des bûcherons! A cette époque le Chinois faisait la (6)cookerie pour les hommes et s’occupait du feu jour et nuit! Il était su’a job 24 heures sur 24. Il préparait le meilleur pâté qui soit de mémoire de bûcherons et les gars sur le camp le traitait comme un des leurs. Pour fin historique le pâté du Chinois est devenu avec les années, le pâté chinois!

Il faisait partie de la gang. Personne n’a jamais su son vrai nom. « Le » était son prénom et « Chinois » son nom de famille!

Un soir après une dure journée de labeur, les gars mangeait comme des gloutons dans leurs assiettes de tôles pendant que le Chinois préparait son eau pour la vaisselle!

Un cri de mort se fit entendre et fit écho autour du lac Malpic. Un cri qui ne laisse aucun doute. Bilou s’est levé d’une traite et a couru vers les cris qui faisaient écho jusqu’à Grand Remous. Il tourna le coin du shack et aperçut le Chinois dans les pattes de l’ours noir. Notre cuisinier était en train de se transformer en encre de Chine.

Bilou lâche un cri de mort et court vers l’ours avec les baguettes dans les airs. Une grosse veine lui pousse dans le cou et on dit que la veine dans le cou est un mauvais présage pour quiconque est sur son chemin!

De mémoire de bûcherons, de mémoire de Chinois, de mémoire du lac Malpic, de mémoire du comté de Antoine-Labelle… les historiens, les rats de bibliothèque, les anciens racontent que Bilou Robitaille a pris à bras le corps l’ours par en arrière comme s’il lui faisait la prise de l’ours et aussitôt l’ours a lâché son emprise sur le pauvre Chinois. Il a jeté l’ours par terre et vrai comme j’écris ces lignes, l’ours a couru sur Bilou!

André « Bilou » Robitaille a lancé un uppercut de la gauche direct sur le gros museau de la bête qui est tombé raide mort sur le coup! Un uppercut comme aurait lancé Jack Dempsey.

Le monde dans le p’tit Canada riait des histoires rocambolesques du vieux bonhomme centenaire! Certains le comparait au Capitaine Bonhomme! La populace aimait rire du bonhomme Robitaille avec ses histoires de fou! Il avait perdu à cette époque son surnom de Bilou et ses deux baguettes pour se battre. Il était, dans mon p’tit Canada, le vieux fou.

Une autre histoire de Bilou qui a forgé sa légende. Celle du temps où il était draveur dans le coin de Shawinigan! Oui, Bilou a travaillé pendant un temps en Mauricie!

Il était avec les autres draveurs sur les billots près du Trou du Diable à ce qu’on m’a raconté! Une journée pluvieuse par-dessus le marché avec des vents à décorner les beufs de Shawinigan, du Cap-de-la-Madeleine en passant par Trois-Rivières!

Il faisait tempête sur la rivière, les eaux étaient déchaînées, tous les cageux avaient peur sauf Bilou qui lui s’amusait comme un enfant à sauter de billots en billots! La légende dit qu’un cageux à côté de lui (le grand slaque de Coaticook) est tombé dans les eaux tourmentées du Trou du Diable! Le pauvre homme ne voyait ni ciel ni terre quand tout à coup une main grosse de même le prit par le califourchon! On raconte que Bilou a mis l’homme d’au moins 200 lbs sur ses épaules d’un coup et l’a installé en « full nelson » sur ses épaules de bûcheron à l’infini. De mémoire de bûcherons, de cageux, de draveurs y paraît que Bilou a transporté le pauvre yâble sur ses épaules le temps de descendre la rivière. On parle ici d’une heure minimum! Des jambes comme des troncs d’arbres pareils comme dans la forêt à McKenzie bien ancré dans les billots qui font leur chemin au gré du courant! Ce soir là Bilou a mangé sa soupe aux pois comme d’habitude et comme d’habitude préparé par le Chinois qui le suit sur chaque chantier! Fidèle comme un Chinois.

Mars 1983 Église St-Anastasie, Lachute

Un corbillard longe la rue Béthanie vers l’église… l’homme dans le dit corbillard est considéré comme fou dans son quartier. Il laisse dans le deuil un verre d’eau rempli à moitié et un dentier! Étrangement un long cortège suit le corbillard, un cortège qui fait la rue Béthanie au complet, du début à la fin.

Ceux-là qui riaient du vieux fou ont la mâchoire dévissée, les mangeux de chips sont en train de s’étouffer, les hypocrites admirent le cortège en hypocrite, le p’tit Canada voit l’un de ses fils être célébré!!! La rumeur s’est propagée partout dans la ville, de la rue Sydney, au boulevard Tessier en passant par Ayersville même que la rumeur s’est rendu jusqu’à St-Philippe et peut-être même jusqu’à St-Hermas! La rue Béthany n’a jamais été aussi pleine. Il y avait une parade en face de l’église St-Anastasie ce jour-là!

De l’auto en arrière du corbillard est débarqué un très vieil homme, du genre centenaire! Un vieux Chinois qui avait peine à marcher. La rue est littéralement bloquée. Il y avait du monde comme si les Beatles jouaient sur le toit de l’église. On suivent des centaines de Chinois qui suivaient le cortège en auto! Puis sont apparus au coin de la rue principale pour tourner sur la rue Béthany de magnifique dragons comme dans ces fêtes chinoises, des lanternes aux milles couleurs, des feux de Bengale sous un ciel taché de bleu et des nuages en forme de bonheur!

Tout ce beau monde est entré à l’intérieur de l’église après le cercueil de Bilou! Il y avait aussi le docteur Prud’homme, son petit flasque de bagosse et quelques hypocrites!

Le curé a fait une belle messe à la hauteur de Bilou avec justesse et tendresse.

Et un moment donné il a demandé si quelqu’un avait quelque chose à dire…

Le vieux Chinois s’est levé comme un seul homme et il s’est dirigé vers la balustrade! Les curieux dehors pouvaient entendre la messe via les immenses speakers. Avant d’arriver au micro le Chinois s’est agenouillé avec ses 100 ans sur ses épaules au côté du cercueil de son vieux chum et il a chuchoté « merci Bilou ».

Au micro, la voix remplie de sanglots, d’émotion, de souvenirs vieux de 80 ans mais frais dans sa mémoire, le Chinois a dit:

  • Merci « Bilou » mon frère de m’avoir sauvé des pattes de l’ours car grâce à toi, cette église remplie de mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants! À cause de ta bravoure, ta force, ta loyauté j’ai bâti ma famille. Tu es, Bilou, la fondation de cette grande famille.

Et le Chinois s’est agenouillé une autre fois la main sur le coeur devant le cercueil de son vieux chum…

Nul n’est prophète en son pays dans le p’tit Canada comme ailleurs, qu’il soit écrit dans ce texte qu’André « Bilou » Robitaille ne mentait pas plein sa yeule! Si le p’tit Canada était un royaume André « Bilou » Robitaille en serait le roi. Le roi est mort, vive le roi!

*Photo Québec authentique et Toucher du bois

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Publié dans ANECDOTE, HOMMAGE, Lachute, souvenir

Dans la rivière des Outaouais

Au début des années 50, c’était la grosse misère sur la côte de sable!

La côte de sable, c’est un quartier pauvre à Lachute dans le comté d’Argenteuil! Il y avait le secours direct pour les plus pauvres et il y avait en dessous les Mallette.

Laissez-moi vous raconter l’histoire de Méo Mallette…

Il était un ramasseur de scrap devant l’éternel. Un pêcheur de barbotte. Un mangeur de pétaque. Un étaleur de graisse de rôti. Un fouilleur de poubelles aux quatre coins cardinaux de Lachute. Un homme de peu de mots! Méo mesurait 4’11 et pesait 75 livres, un genre de nerveux comme il s’en fait pu! Il habitait en permanence enfermé dans son silence. Si on mettait tous ses silences un à côté de l’autre, on pourrait faire le tour de la terre comme dans le livre de ce bon vieux Jules Verne.

Ce que Méo aimait par-dessus tout c’était d’amener son garçon le plus petit, Wilfrid, pêcher avec lui. Le p’tit St-Jean-Baptiste comme son père l’appelait car il était blond et bouclé. Du haut de ses 4 ans, pêcher pour sa famille était normal et facile. La rivière du Nord n’avait pas de secret pour Wilfrid. Il pouvait prendre avec la régularité d’un métronome assez de poisson pour nourrir toute la famille de 11! De la barbotte huileuse, au crapet-soleil plein d’arêtes, à la carpe suceuse, à la barbu du fond de « swamp », au brochet aux mille et une dents, à l’esturgeon vidangeur de rivière et à la perchaude sans fin.

Père et fils pouvaient rester des heures en dessous du pont de la track, regarder l’horizon et le bout de leur ligne. Ils revenaient à la maison quand ils avaient pêché suffisamment de poisson. Parfois ils revenaient de bonne heure et d’autres fois à la tombée de la nuit. Ils étaient patients comme ces maîtres bouddhistes sans le savoir.

Le jeudi, c’était le temps des poubelles partout dans la ville. Méo partait avec son plus grand à la tombée du soleil, en « bécycle » avec des trailers de fortune accrochés en arrière d’eux! Il ramassait les restants des autres à la mitaine. Ils pouvaient ramasser jusqu’aux petites heures du matin et revenaient parfois avec des trésors amochés.

J’ai oublié de vous dire que Méo était « straight edge » avant qu’on invente le mot. Il ne fumait pas, ne buvait pas, ce qui était très rare à l’époque. Avec ses enfants il était plutôt sévère sauf à la pêche et en ramassant les poubelles. Il était le seul pilier de la famille car sa femme Anita était alcoolique du premier au dernier degré…

Il n’était pas rare que les petits Mallette aillent à l’école avec des pétaques crues dans leur sac à lunch et parfois rien du tout pour remplir leur petit ventre le midi. Les Mallette c’est du simple monde. Ils n’ont jamais volé personne, jamais. Ce n’est pas du mauvais monde. C’est juste qu’ils sont nés pour un petit pain!

Par un dimanche après-midi comme plusieurs dimanches après-midi, la famille Mallette étaient dans la grosse chaloupe tous ensemble. Il y avait père, mère, Wilfrid (4 ans), Madeleine (5 ans), Denis (11 ans), Michel (12 ans), Denise (8 ans), Marie (6 mois), Monique (2 ans), Réjeanne (7 ans) et la belle Dorinne (14 ans). Personne à part Wilfrid et Méo aimaient être là. C’était le calvaire hebdomadaire des Mallette.

La rivière du Nord en ce début de printemps était particulièrement agitée. Le temps était à la tempête mais le bonhomme Mallette était plutôt du genre tête dure. Le dimanche, c’était la pêche en famille coûte que coûte. La chaloupe était à la hauteur du petit pont, presque arrivée sur la rue principale, ce pont à l’époque était vert! Angèle était inquiète avec la petite Marie dans les bras. Dorinne aussi avec Monique dans ses bras. Le ciel de la petite ville de Lachute est devenu noir! La famille Mallette se faisait brasser d’un bord pis de l’autre dans la chaloupe. Ils vivaient là un moment charnière dans leurs propres histoires, dans l’histoire de la rivière du Nord aussi. À ce moment précis, ce fut une fin du monde en soi… L’éclatement d’une famille!

Le petit Wilfrid était debout dans la chaloupe et s’amusait à jouer à faire le clown. La chaloupe arrêta d’un coup sec et Wilfrid tomba dans les bras de la rivière du Nord. Wilfrid criait à mort pendant que les eaux l’emportait loin des Mallette. Le cri de Wilfrid résonne encore aujourd’hui en 2017 aux abords de cette maudite rivière…

Soudain il a arrêté de crier et son père le géant Méo sauta dans l’eau froide du printemps. Il nageait comme une roche. Il a coulé aussi comme Wilfrid. C’était, dans la chaloupe, le plus grand silence que l’humanité n’aura jamais connu! Méo et Wilfrid s’en allaient au gré des vagues et du courant. Ils avaient à eux d’eux, tout le temps de l’infini pour se rendre nulle part.

Ma propre mère Madeleine (elle avait 5 ans à l’époque) en parle encore aujourd’hui avec émotion. Un chagrin qui vous reste pris dans la gorge ad vitam aeternam. Le 13 avril 1958 fut la fin de la famille Mallette tout simplement! Le ciel était gris et à regarder dans le fond des yeux de ma mère, j’ai l’impression qu’il n’a jamais changé de couleur depuis! Elle traîne dans son bagage Méo et Wilfrid.

Pour la suite des choses…

Six mois après la mort de Méo et Wilfrid, Anita était en cour car son nouveau chum et mari, oui, oui, battait les enfants ce que Méo n’avait jamais fait.

Vrai comme je suis en train d’écrire ce maudit texte, le juge demande devant la cour à Anita:

– Madame, vos enfants ou votre nouveau mari?

– (Anita) : Mon nouveau mari (sans aucun sanglot dans la voix). Mon beau Émile!

Si la mort de Méo et Wilfrid fut la fin de la famille Mallette, Anita l’a achevé à coup de bières, à coup d’égoïsme et à coup d’Émile.

À des fins historiques…

Tous les enfants sans exception furent placés comme on dit. Séparés à jamais, chacun dans leurs douleurs! Aucun placé à la même place, le même jour.

Anita est morte en 1998, seule, sans famille et folle.

Et le 17 avril 1958 dans les eaux troubles de la rivière des Outaouais on a retrouvé le corps gonflé de Wilfrid. Et au bout de sa petite main gauche, il y avait Méo qui lui tenait la main.

Qu’il soit écrit ici que de la rivière du Nord à la rivière des Outaouais, Wilfrid n’était pas seul. Au-delà de la mort, il y avait papa Méo!


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