Publié dans Conte, HOMMAGE, Lachute

Ti-Louis

Je vais vous raconter l’histoire de Ti-Louis, parce que l’histoire de Ti-Louis c’est celle des colonisateurs, de ceux qui ont bâti ce pays qu’est le Québec, à bout de bras, de peine et de grosse misère.  Depuis longtemps, je voulais écrire sur ces hommes du début du siècle qui ont fait les fondations du Québec d’aujourd’hui. 

Louis Lemerie est né en janvier 1911, à l’époque où l’honorable Wilfrid Laurier était le Premier ministre du Canada.  Nous étions Canadiens français, nous étions des  »pea soup » pour les anglais.  Louis est fils de fermier.  Il est la gloire de son père Napoléon, il est la gloire des Lemerie, car il est le premier fils de la famille après 8 filles!  Napoléon a trouvé son successeur, il est fait robuste comme lui!  Il est né pour travailler sur la terre.  Il est un cadeau de Dieu, que pensent les Lemerie.  Saint-Cyprien-de-Napierville avait Louis Cyr, maintenant St-Lin avait aussi son homme fort en Louis Lemerie, surnommé Ti-Louis par son père!

La grand-mère, la mère et les sœurs de Ti-Louis l’ont dorloté jusqu’à l’âge de 5 ans.  Le matin de ses 5 ans, Napoléon a réveillé son fils aux aurores. Il était autour de 4 h du matin, belle heure pour traire des vaches!!!  Les deux hommes ont mangé des toasts su l’poêle, des œufs, des fèves au lard, du lard pis de la graisse de rôtie su’ l’pain, du gros pain de ménage!  C’était la première journée de travail de la vie de Ti-Louis…  Après un avant-midi, de retour à la maison, il a pleuré sous la jupe de sa mère et, à l’autre bout de la jupe, sa mère pleurait aussi.

Napoléon: Ti-Louis, fa un homme de toé.  

Ti-Louis a lâché sa mère d’un coup sec, il a essuyé son nez morveux sur sa manche, il a remis sa tuque, et ainsi commença sa vie d’homme, lui, un p’tit bonhomme bas sur pattes! Que de courage pour lâcher la jupe de sa mère!  Il a fait le tour des saisons avec son père, un tour du cadran complet!  Il est capable de tout faire sur la ferme.  Il ne sait pas compter jusqu’à trois, mais il peut vous garrocher une « bale » de foin dans une barouette comme si de rien n’était!

Par un matin d’été, de bonne heure dans le matin, Ti-Louis était parti pêcher des grenouilles pas loin de la maison. Tout le monde dormait dans la maison, même son bonhomme.  La pêche avait été bonne, sa mère pis ses sœurs pourraient cuisiner des bonnes grosses cuisses de grenouille.  Sur le chemin du retour, il vit au loin de la boucane, mais quand je dis de la boucane, je dis de la boucane!  Elle provenait de la maison et de la ferme, collée sur la maison des Lemerie.  Un feu maudit qui a tout brûlé sur son passage, ne laissant que des cendres. Louis Lemerie était maintenant le dernier Lemerie vivant dans St-Lin. D’un coup, il a perdu toute sa famille. 

Orphelin de père, de mère et de huit sœurs.  Ti-Louis, même à 90 ans, s’en rappelait comme si c’était hier. Il n’en parlait presque jamais, et surtout, avec des vieux sanglots dans la voix.  Une plaie qu’on n’arrive jamais à cicatriser!  Ti-Louis, 6 ans, était sur le chemin qui le menait nulle part, pleurait et cherchait la jupe de sa mère.  

Ti-Louis a marché jusqu’au magasin général, il a raconté son histoire au boss du magasin.  Il y avait sur place un charpentier de Lachute qui écoutait la triste histoire du p’tit bonhomme.  L’homme lui a offert le gîte, lui disant que jamais il ne manquerait de manger et qu’il aurait un toit sur la tête, en échange de travail à la scierie, qu’il serait traité comme un fils!  Le charpentier Beauséjour avait tenu parole sur toute la ligne, et Ti-Louis est devenu son meilleur travailleur!

Un an après son arrivée, le vieux Cyprien Beauséjour demanda tous ses enfants, ses petits enfants, sa femme, ses cousins, ses cousines, ses frères et ses sœurs. Devant tout ce beau monde, il invita Ti-Louis dans le salon :

Cyprien Beauséjour: Mon Ti-Louis, ça fait un an que tu travailles à nos cotés, ça fait un an que tu vis comme un Beauséjour.  Tu travailles dur comme un Beauséjour.  Tu es un homme déjà, même si t’as juste 7 ans!  Aujourd’hui, devant le clan Beauséjour au complet, je te demande si tu veux être un Beauséjour toé aussi?  Ça serait un honneur pour moé d’être ton père. 

Ti-Louis a les yeux plein d’eau… c’est comme si la Rivière-du-Nord avait coulé au complet sur ses joues!  Il y a eu un long silence, le genre de silence qui n’existe plus!  Un silence qui a traversé le comté d’Argenteuil…

Ti-Louis ( les sanglots dans la voix): J’vas être fier de porter votre nom, mon père!

La joie a éclaté dans le salon de Cyprien! Les plus vieux de la famille ont fait la bascule à Ti-Louis.  Les bonnes femmes ont sorti le buffet, les enfants ont joué aux cowboys pis aux Indiens, pis les hommes ont bu dans le salon en se racontant des peurs. Une soirée mémorable pour un moment mémorable!

Quelques années plus tard…
Ti-Louis  est rendu à 14 ans et se voit offrir d’aller travailler avec son frère le plus vieux dans un  »camp » de bûcherons.  Il en rêvait d’ailleurs, il rêvait de devenir draveur et bûcheron!

Il est allé fendre du bois à Kilmar.  Nous étions en 1925 et Ti-Louis allait réaliser son rêve. Dur labeur à journée longue, batailles dans le  »camp », de la  »bucksaw »  14 heures par jour, la découverte de l’alcool frelaté, les cartes, les histoires cochonnes, les histoires de peur, l’argent, le tabac à chiquer et les filles de passe!

Après 3 ans de métier de bûcheron dans le corps, il s’en va faire de la drave dans le coin de Mont-Laurier. Nous sommes en 1929!  De billot en billot, il volait littéralement au-dessus des rivières.  Il était connu et reconnu comme Barabas dans la passion.  Sa légende avait traversé le comté de Labelle! Sa légende était aussi imprégnée dans les tavernes des hautes et des basses Laurentides.  Il était un furieux buveur et batailleur.  Il était reconnu comme un travailleur acharné et un jeune homme au grand cœur, malgré certains défauts!

Il revint à Lachute pour cause de mortalité dans sa famille…
C’était la semaine de l’exposition agricole de Lachute, la fameuse  »County Fair » qui existe depuis 1825…

Il s’inscrit au tir de câble et à la compétition de fendeur de bûche!
La rumeur avait fait sa job comme du monde, le grand Lachute était au  »County Fair » pour voir de ses yeux Ti-Louis rincer les anglais! Faut savoir que depuis toujours, Lachute est 50/50 anglais-français.  Le problème avec le tir du câble, c’est que personne ne s’inscrivait, car tous savaient que c’était perdu d’avance contre les 5 frères McKenzie de St-André!  

Ce jour-là, vrai comme je vous écris ces lignes, Ti-Louis Beauséjour s’est inscrit au concours pour justement affronter les frères McKenzie. Un problème se posa, le concours était conçu pour être 5 contre 5.  Ti-Louis dit à l’organisateur, un Canadien français comme lui :

Ti-Louis: Donne-moé la chance de leur fermer la yeule devant tout le monde!  J’veux leur montrer au  »blokes » qu’on n’est pas juste des mangeux de soupe aux pois!!! J’les prends les 5 d’une traite!

Le fameux après-midi de juillet, les McKenzie riaient à en pisser dans leurs culottes! Les 5 frères avaient bu toute la matinée, ils étaient tellement certains de faire honte à ce  »frog »…

Arrive l’heure du concours, les hommes sont présentés par l’annonceur de l’encan.  On annonce que le vainqueur va se mériter un cheval!  Ti-Louis s’avance et déclare qu’il ne veut pas de cheval ni rien d’autre, qu’il veut juste avoir le plaisir de battre des anglais! Que si les gens veulent, ils ont juste à venir lui payer une bière à l’hôtel Legault!

La foule riait, c’était l’euphorie en plein cœur de Lachute!  Certaines langues sales attendaient de voir le Beauséjour se faire planter, comme quoi même en 1929, les Canadiens français se mangeaient déjà la laine su l’dos!!!

1-2-3… c’est parti!
La légende dit que les 5 frères McKenzie se sont retrouvés sur le cul en un rien de temps. Les 5 fermiers de St-André la face dans le sable et l’orgueil qui a pris ses jambes à son cou.  Les McKenzie sont partis en lançant des roches à Ti-Louis. De là est née la fameuse légende des  »pitcheux de roches de St-André ». D’ailleurs, encore aujourd’hui, les habitants de St-André se font appeler ainsi à cause des McKenzie!

Pendant cette journée, Ti-Louis rencontra sa future femme, la belle Rose-Alma! Elle avait 14 ans et il en avait 18.  Ils ont consommé avant le mariage, trop pressés de consommer. Ils se sont aimés de 1929 à la mort de Rose-Alma en 1982, c’est-à-dire pendant 53 ans.
Trois ans plus tard, trois enfants plus tard, la ville de Lachute lui a donné un terrain pour encourager la famille!  Elle lui a donné un terrain sur  »la côte de sable », juste en arrière du fameux encan de Lachute! À bout de bras, il a monté sa maison avec une femme et trois enfants sur les bras!  Faute de pain, Ti-Louis pis sa famille ont mangé de la galette! Travailler au chantier de 5 h du matin à 5 h du soir, pis après aller bâtir sa maison jusqu’à 10 h le soir, c’était le train-train quotidien de Ti-Louis!

Il avait arrêté de se battre, sauf la fois où son frère Rosaire avait essayé d’embrasser sa femme de force lors d’une soirée bien arrosée.  Rosaire s’était retrouvé sur le cul, le nez cassé et ainsi qu’un os de la joue! Le beau maquereau s’est réveillé sur la galerie de Ti-Louis, avec le pied de Ti-Louis sur sa poitrine…

Ti-Louis: Rosaire, prochaine fois j’te tue avec mes mains.

Depuis ce jour et jusqu’à la fin de sa vie, à chaque fois qu’il a rencontré Rose-Alma, Rosaire s’est excusé!

Plusieurs années plus tard, plusieurs enfants et petits-enfants plus tard…
Mai 1982, la plus triste image et en même temps la plus belle image qui m’ait été donnée de voir!!! Nous sommes à l’église Immaculée-Conception, je suis avec mon père, ma mère et mon frère. Tous les autres Beauséjour sont sur place.  Le curé en face de nous veut commencer la cérémonie et attend que Ti-Louis s’assoit aussi avec les autres… ce sont les funérailles de Rose-Alma, ma grand-mère!!!

Ti-Louis, du haut de ses 71 ans bien sonnés, reste debout comme un vieux chêne.  Il tient la main de sa femme dans le cercueil.  Il reste debout, tout le monde le regarde. Il dit au curé:

Ti-Louis: Tu peux commencer ta cérémonie, moé j’vas rester avec ma femme pis non j’vas pas m’assir… il me reste juste une heure pour lui t’nir la main… ça fait 53 ans que j’y tiens la main… pis je vas y tenir la main jusqu’au boute faque câlissez-moé patience!!!!

Le vieux Ti-Louis est resté debout tout le long de la cérémonie, tenant la main de sa bien-aimée.  Ses vieilles jambes lui faisaient mal. Il souffrait, on pouvait le voir dans son visage!  Après une heure interminable, il a fallu qu’il lâche la main de Rose-Alma pour le reste de sa vie… Il a pris un grand respir et il a fermé lui-même de ses mains le cercueil de sa femme. Il pleurait comme le p’tit gars de 6 ans qu’il a été le jour du feu à St-Lin.  Il aurait eu besoin, à ce moment-là, de la jupe de sa mère!  Je les ai entendus dire:

–  Ti-Louis, fa un homme de toé. 
Il s’est essuyé les yeux et a suivi le cortège!

Début des années 90…

Ti-Louis se fait garder quelques fois par votre humble serviteur, pendant que son fils, dit le plein de marde, va dépenser son argent gagné durement dans une  »slot machine » de dépanneur.  J’allais fendre du bois avec le bonhomme. Sa  »shed » était d’une autre époque, tout droit descendue du début du siècle!  Il y avait dans cette  »shed » magique un  »bucksaw », une vraie hache de bûcheron (pas une hache de feluette), des bretelles pour les pantalons, des pics pour pogner les bûches, des vieilles égoïnes et des photos de Maurice Richard pis du frère André!

Il me faisait placer son bois, pis je fendais quelques bûches pour 10 piasses.  Parfois, il me parlait de son époque. C’était des grands moments de bonheur que je ne partageais avec personne, comme un cadeau qui m’était désigné, que je conservais jalousement!  

Ti-Louis était vieux, très vieux. Sa vie l’a rattrapé et ses dernières années n’ont pas été de tout repos, car son fils dit le plein de marde, qui habitait avec lui, le battait parfois et lui volait tout son argent.  Ti-Louis était trop vieux pour se défendre, il avait quand même 82 ans bien sonnés! 

La dernière fois que j’ai vu Ti-Louis, c’était à l’hôpital d’Argenteuil en 1993.  J’étais allé le voir seul, moi qui à l’époque était toujours enfermé chez nous. Ça tenait de l’exploit!  Ti-Louis était plogué de partout dans la chambre 114. Il refusait de manger, il voulait en finir. Je suis entré dans la chambre avec des pas de souris sous mes souliers… 
Il était là, à moitié mort, maigre comme jamais je l’ai vu, blanc comme un drap, et il avait perdu l’usage de la parole. Il n’avait plus rien du draveur de l’époque, ni de l’homme fort de St-Lin, ni du batailleur de taverne. Il était maintenant comme tout le monde, un mortel au bout de sa vie.  Je me suis approché et puis…

Moi: Ta belle Rose-Alma t’attend, Ti-Louis.

C’était la première fois que je me permettais de l’appeler Ti-Louis devant lui… j’étais gêné. Je lui ai donné un bec sur le front et j’ai cru voir un sourire dans sa face!  J’ai fermé la porte et, le soir même, Ti-Louis allait rejoindre sa belle Rose-Alma pour un monde qu’on dit meilleur!

Ti-Louis
-Fondateur de la côte de sable
-Bâtisseur 
-Inventeur de l’huile à bras
-Draveur
-Bûcheron
-Mangeur de graisse de rôtie
-Mâcheur de gomme d’épinette
-Batailleur à mains nues
-Signeur de x 
-Jongleur de bucksaws
-Donneur de 5 piasse 
-Bénisseur de famille
-Empileur de cordes de bois à l’infini


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Heureux comme un trisomique



Le bonheur est un moment burlesque qui dure le temps d’un clin d’œil!

Big George est un italien. Il porte les couleurs de l’Italie avec fierté. Il parle beaucoup et son vocabulaire contient plein de mots d’église. Il parle rapidement, tellement que parfois, ses mots s’enfargent dans sa bouche. Il est au début de la vingtaine. Il aime jouer au bowling, même s’il est un piètre joueur qui visite le dalot plusieurs fois par partie! Il s’en fout de perdre ou de gagner, de performer ou de n’importe quoi à saveur de compétition. Il est juste content d’être là et de lancer la grosse boule dans l’allée et de faire tomber une quille une fois de temps en temps. À ce moment précis, ça devient comme une fête! Ah, j’oubliais! George est tout sauf gros. Il est très laid, mais il s’en fout!

Wally est tout le contraire de George. Il est le meilleur ami de George et George est son meilleur ami. Il ne pourrait imaginer la vie sans George. En fait, il est persuadé que sans George, il arrêterait de respirer ou que son cœur arrêterait de battre! Wally est encore plus laid que George, mais lui il pense qu’il est la réincarnation de James Dean. Wally est aussi au début de la vingtaine. Ils sont ensemble Laurel et Hardy, mais en mieux. Comme George, Wally n’a aucune malice. Si la planète était dirigée par Wally, la planète se porterait mieux. Envoyez George et Wally pour régler le conflit Palestine/Israël, et les bombes feront place à la bonne vieille tarte à la crème ou à un concours de belles grimaces de singe! Ils sont à eux deux un cirque de clowns.

J’ai fait la rencontre de ces deux spécimens lors de mon dîner à la Belle Province du Bowling Laurentien,un certain mercredi. En face de moi, au comptoir pour apporter, un autobus de trisomiques. Vingt trisomiques alignés un à la suite de l’autre devant moi. Je suis l’avant-dernier dans la file. Juste en arrière de moi, il y a Wally, et en avant de moi, il y a George. Je suis arrivé dans la file à 12 h 01 et j’ai été m’asseoir avec mon p’tit bonheur à 12 h 20! Je recommence à travailler à 12 h 30. Un chaos sympathique du début à la fin.

Intérieurement, je sacre. Je ne suis pas content d’attendre pour manger. Autour de moi, c’est tout le contraire. La file de trisomiques est enjouée. C’est la fête au village. Tellement qu’on dirait que quelqu’un a gagné le million dans le lot. Je rumine, je sacre, quand tout à coup, je sens un p’tit doigt huileux sur mon épaule.

Big George: Tu vas prendre quoi pour dîner, Monsieur?

Comme un cadre, il a un sourire tout croche d’accroché dans la face. Le genre de sourire que mon garçon qui avait 6 mois à l’époque m’offrait le matin en se levant. 

Moi, avec le début d’un sourire dans la face: Mon nom c’est Patrick pis j’pense que j’vais prendre un numéro 4, hamburger avec une frite.

George met ses p’tites mains autour de sa bouche comme pour parler avec un porte-voix et crie littéralement…

George: Hey, Wally, le monsieur va prendre un hamburger avec une frite. C’est un bon choix, hein?

Il crie le tout avec un pouce dans les airs à la fin de sa phrase. Wally est à deux pouces de moi, et George est collé sur moi. Je ris, George rit, Wally rit, et toute la file rit.
Wally met ses mains autour de sa bouche et crie à son tour.

Wally: Hey,  »Big » George, je sais ce que le monsieur veut, je suis à coté de lui et de toi! Tu n’as pas besoin de crier! dit-il en criant lui aussi.

L’éducatrice spécialisée qui les surveille leur dit d’arrêter de déranger le monsieur. Le monsieur, c’est moi. Ça me fait toujours drôle de me faire traiter de monsieur. Et moi de lui répondre:

Moi, le monsieur: Ben non, ça me dérange pas pantoute. C’est ben correct.

Intérieurement, je suis  »crampé », j’ai le sourire facile! Le bonheur vient faire son tour entre mes deux oreilles. George repart de plus belle et s’adresse au caissier dans son  »rush » du midi.

George: Hey, monsieur, tu fais une maudite bonne job. Lâche pas, tu vas aller loin dans la vie, parole de George. Two thumbs up’s mister! Tu fais de la bonne argent aujourd’hui Buddy!

Le caissier a droit en prime à un beau signe du pouce de notre joyeux drill. Le caissier rit de bon cœur, les filles et les gars dans la cuisine rient de bon cœur malgré l’énorme  »rush ». Tout le monde rit de bon cœur!

Quelques minutes passent… je sens encore une fois un p’tit doigt huileux sur mon épaule.

George: Tu vas prendre quoi pour dîner, Monsieur Patrick?

WallyDérange pas monsieur Patrick, c’est pas de nos affaires!

George me répète la même question tout naturellement trois fois comme si c’était la première fois. Je suis dans un  »twilight zone ». Je vis une pièce de théâtre burlesque. Je me sens comme Symphorien dans un sketch avec Oscar Bellemare. On dirait que Marcel Gamache a écrit l’histoire de mon dîner tellement c’est risible. J’ai toujours eu une fascination particulière pour les trisomiques et leur bonheur facile! Le moment que je vis avec eux me le confirme. J’ai enfin ma commande et je vais m’installer seul dans mon coin. Wally et George viennent s’asseoir à coté de moi!

Je renverse mon verre de coke en m’assoyant. Le coca-cola déborde comme la rivière du Nord de mon enfance au printemps… un peu sur mes pantalons, un peu à terre, un peu sur mon cabaret, un peu partout finalement. Wally se lève et m’offre de partager son coke avec moi. Comme ça, tout naturellement, comme si c’était la chose à faire! Comme un cadre, j’ai un sourire tout croche d’accroché dans la face. Le genre de sourire que mon garçon de 6 mois m’offrait à l’époque le matin en se levant. Wally et George n’ont pas besoin de chercher le bonheur, car ils sont le bonheur!

Je suis reparti du snack à patates avec un gros  »smile » dans la face. J’ai travaillé avec un gros  »smile » dans la face tout l’après-midi. Je suis arrivé chez nous avec un gros  »smile » dans la face. Je me suis endormi avec un gros  »smile » dans la face, j’étais heureux comme un trisomique.

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Heureux comme un trisomique

Le bonheur est un moment burlesque qui dure le temps d’un clin d’œil!

Big George est un italien. Il porte les couleurs de l’Italie avec fierté. Il parle beaucoup et son vocabulaire contient plein de mots d’église. Il parle rapidement, tellement que parfois, ses mots s’enfargent dans sa bouche. Il est au début de la vingtaine. Il aime jouer au bowling, même s’il est un piètre joueur qui visite le dalot plusieurs fois par partie! Il s’en fout de perdre ou de gagner, de performer ou de n’importe quoi à saveur de compétition. Il est juste content d’être là et de lancer la grosse boule dans l’allée et de faire tomber une quille une fois de temps en temps. À ce moment précis, ça devient comme une fête! Ah, j’oubliais! George est tout sauf gros. Il est très laid, mais il s’en fout!

Wally est tout le contraire de George. Il est le meilleur ami de George et George est son meilleur ami. Il ne pourrait imaginer la vie sans George. En fait, il est persuadé que sans George, il arrêterait de respirer ou que son cœur arrêterait de battre! Wally est encore plus laid que George, mais lui il pense qu’il est la réincarnation de James Dean. Wally est aussi au début de la vingtaine. Ils sont ensemble Laurel et Hardy, mais en mieux. Comme George, Wally n’a aucune malice. Si la planète était dirigée par Wally, la planète se porterait mieux. Envoyez George et Wally pour régler le conflit Palestine/Israël, et les bombes feront place à la bonne vieille tarte à la crème ou à un concours de belles grimaces de singe! Ils sont à eux deux un cirque de clowns.

J’ai fait la rencontre de ces deux spécimens lors de mon dîner à la Belle Province du Bowling Laurentien,un certain mercredi. En face de moi, au comptoir pour apporter, un autobus de trisomiques. Vingt trisomiques alignés un à la suite de l’autre devant moi. Je suis l’avant-dernier dans la file. Juste en arrière de moi, il y a Wally, et en avant de moi, il y a George. Je suis arrivé dans la file à 12 h 01 et j’ai été m’asseoir avec mon p’tit bonheur à 12 h 20! Je recommence à travailler à 12 h 30. Un chaos sympathique du début à la fin.

Intérieurement, je sacre. Je ne suis pas content d’attendre pour manger. Autour de moi, c’est tout le contraire. La file de trisomiques est enjouée. C’est la fête au village. Tellement qu’on dirait que quelqu’un a gagné le million dans le lot. Je rumine, je sacre, quand tout à coup, je sens un p’tit doigt huileux sur mon épaule.

Big George: Tu vas prendre quoi pour dîner, Monsieur?

Comme un cadre, il a un sourire tout croche d’accroché dans la face. Le genre de sourire que mon garçon qui avait 6 mois à l’époque m’offrait le matin en se levant. 

Moi, avec le début d’un sourire dans la face: Mon nom c’est Patrick pis j’pense que j’vais prendre un numéro 4, hamburger avec une frite.

George met ses p’tites mains autour de sa bouche comme pour parler avec un porte-voix et crie littéralement…

George: Hey, Wally, le monsieur va prendre un hamburger avec une frite. C’est un bon choix, hein?

Il crie le tout avec un pouce dans les airs à la fin de sa phrase. Wally est à deux pouces de moi, et George est collé sur moi. Je ris, George rit, Wally rit, et toute la file rit.
Wally met ses mains autour de sa bouche et crie à son tour.

Wally: Hey,  »Big » George, je sais ce que le monsieur veut, je suis à coté de lui et de toi! Tu n’as pas besoin de crier! dit-il en criant lui aussi.

L’éducatrice spécialisée qui les surveille leur dit d’arrêter de déranger le monsieur. Le monsieur, c’est moi. Ça me fait toujours drôle de me faire traiter de monsieur. Et moi de lui répondre:

Moi, le monsieur: Ben non, ça me dérange pas pantoute. C’est ben correct.

Intérieurement, je suis  »crampé », j’ai le sourire facile! Le bonheur vient faire son tour entre mes deux oreilles. George repart de plus belle et s’adresse au caissier dans son  »rush » du midi.

George: Hey, monsieur, tu fais une maudite bonne job. Lâche pas, tu vas aller loin dans la vie, parole de George. Two thumbs up’s mister! Tu fais de la bonne argent aujourd’hui Buddy!

Le caissier a droit en prime à un beau signe du pouce de notre joyeux drill. Le caissier rit de bon cœur, les filles et les gars dans la cuisine rient de bon cœur malgré l’énorme  »rush ». Tout le monde rit de bon cœur!

Quelques minutes passent… je sens encore une fois un p’tit doigt huileux sur mon épaule.

George: Tu vas prendre quoi pour dîner, Monsieur Patrick?

WallyDérange pas monsieur Patrick, c’est pas de nos affaires!

George me répète la même question tout naturellement trois fois comme si c’était la première fois. Je suis dans un  »twilight zone ». Je vis une pièce de théâtre burlesque. Je me sens comme Symphorien dans un sketch avec Oscar Bellemare. On dirait que Marcel Gamache a écrit l’histoire de mon dîner tellement c’est risible. J’ai toujours eu une fascination particulière pour les trisomiques et leur bonheur facile! Le moment que je vis avec eux me le confirme. J’ai enfin ma commande et je vais m’installer seul dans mon coin. Wally et George viennent s’asseoir à coté de moi!

Je renverse mon verre de coke en m’assoyant. Le coca-cola déborde comme la rivière du Nord de mon enfance au printemps… un peu sur mes pantalons, un peu à terre, un peu sur mon cabaret, un peu partout finalement. Wally se lève et m’offre de partager son coke avec moi. Comme ça, tout naturellement, comme si c’était la chose à faire! Comme un cadre, j’ai un sourire tout croche d’accroché dans la face. Le genre de sourire que mon garçon de 6 mois m’offrait à l’époque le matin en se levant. Wally et George n’ont pas besoin de chercher le bonheur, car ils sont le bonheur!

Je suis reparti du snack à patates avec un gros  »smile » dans la face. J’ai travaillé avec un gros  »smile » dans la face tout l’après-midi. Je suis arrivé chez nous avec un gros  »smile » dans la face. Je me suis endormi avec un gros  »smile » dans la face, j’étais heureux comme un trisomique.


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