Publié dans ANECDOTE, Chronique, Histoire, Lachute, NOUVELLE LITTÉRAIRE

Un été à Ayersville

La vie dans le Bronx était pas souvent facile. 

Le monde marchait souvent la tête par en bas. 

Mes plus beaux souvenirs d’enfance sont au coeur de ce quartier de misère. Jamais je vais renier Ayersville. C’est chez-nous. C’est en moi! 

Mon père, que je déteste pour mourir, vit encore là. Il a 76 ans. Il est vieux maintenant et sans danger pour personne. 

Jamais je vais m’empêcher de vous dire la vérité sur le p’tit Canada, ou le Bronx. Pour le meilleur et pour le pire. Ayersville, comme le p’tit Canada, est profondément ancrée dans mon ADN! Je ne suis pas né de la cuisse de Jupiter! 

L’été de 1985 a été mémorable à plusieurs niveaux : j’avais douze ans et la vie devant moi! J’avais douze ans et une moustache molle! J’ai passé mon été de 1985 au complet dans le Bronx d’Ayersville! Le Bronx où il faisait bon de siphonner du gaz la nuit pendant que tout le monde dort dans les HLM! Oui, j’ai connu un gars qui siphonnait du gaz, surtout en fin de mois, question de pouvoir faire rouler son bazou! C’était la vie, le quotidien dans le Bronx d’Ayersville. Opération minoune était un gros sujet de conversation dans le coin. Tout le monde était dans sa propre douleur, tout le monde savait la douleur des autres, tout le monde se jugeait et puis pourtant..et puis pourtant! 

On pourrait penser qu’entre pauvres on s’entraide, mais c’était tout à fait le contraire! Si c’était possible de frapper sur quelqu’un à terre, inquiète-toi pas qu’on était une coupl’ à fesser dessus!

Le Bronx, c’était notre jungle à nous. Entre nous. Pour nous. Quand t’es jamais allé plus loin que le comté d’Argenteuil, c’est difficile de voir qu’ailleurs, c’est pas comme chez-vous! 

L’été de 1985, c’est l’été où j’ai ramassé mon chat Magoo sur le bord de la Rivière-du-Nord. Plus précisément à côté de chez-nous, dans une shop qui s’appelait Ming Plumbing! En 1985, c’est le dernier été durant lequel on est allés passer deux semaines chez les cousins en Abitibi, plus précisément, cette fois, à Senneterre! Un petit village au nord de Val d’Or, au coeur de la Vallée de l’Or, là où la terre gèle parfois en plein coeur du mois de juillet! On était aussi allés à Amos et Kipawa (une réserve indienne, paradis de la truite arc-en-ciel), toujours en Abitibi.

J’ai souvenir des nuits humides et froides de l’Abitibi, pays de misère. J’ai souvenir de la noirceur une fois les lumières fermées dans le parc de maisons mobiles. J’ai souvenir de la route pour se rendre jusqu’au boutte du monde. J’ai souvenir de traverser la réserve faunique de La Vérendrye. Si mes souvenirs sont bons, il me semble qu’une caisse de douze O’Keefe était bonne pour faire le trajet Lachute-Senneterre! On parle ici d’une bière ou presque à l’heure! Pas de ceinture, pas de tracas! Comme disait Richard Desjardins, j’vas monter à Val d’or “pas d’cadran pas d’capote”*! 

J’ai souvenir du lac bleu devant mes yeux, d’une beauté immense! J’ai souvenir du soleil de l’Abitibi, qui n’est comme le soleil de nulle part ailleurs! J’ai souvenir des aurores boréales! 

J’ai souvenir des sauvages. J’ai souvenir des ski-doo en avant des maisons. J’ai souvenir de la bagosse! J’ai souvenirs de la forêt à perte de vue. J’ai souvenir des petits fruits sauvages mangés en jaloux. 

Deux semaines par année, environ, qui me semblaient durer des mois! L’Abitibi c’est pas pour moi, j’suis beaucoup trop urbain pour ça. 

À part ces deux semaines-là, j’ai passé le reste de mon été de 1985 ou presque au coeur du Bronx à Lachute! 

Mon cousin Stef et moi, on était deux jeunes plutôt tranquilles…en général! Parfois, comme si une bulle montait dans nos cerveaux, on avait des “plans d’nèg’’. C’était la façon à l’époque de dire qu’on faisait des mauvais coups! Cette fois-là par contre, le plan n’était pas calculé comme tous nos autres plans. Stef avait reçu en cadeau un magnifique fusil. Un BB gun de chez Canadian Tire. On venait de louer au club vidéo Langevin le nouveau film d’Arnold, Commando! Tout pour activer notre “plan d’nèg’’! C’était une journée comme toutes les autres journées, sauf que dans ma tête, j’étais devenu un sniper comme Arnold! J’avais 12 ans et aucun biceps à l’horizon! 

En face du HLM de mon cousin, il y avait un autre HLM, et à côté du HLM de mon cousin, il y avait un autre HLM et l’autre côté aussi!  C’était un rond-point de HLM! Dans ces HLM, il y avait plein de personnages cocasses et certains de triste mémoire! Ode à terrasse Saindon…

Patrick Cuillerier et sa face de Carême! À 12 ans j’avais peur de lui! Quand il passait à côté de moi, j’avais le goût de faire un p’tit caca nerveux! Un genre d’ado à l’époque toujours en tabarnak! De mémoire, j’ai jamais vu sourire Cuillerier, jamais! 

Demandez à ‘’Wézo’’ qui a pété tous les pneus des chars sur la rue Hamelin un certain soir? Moi je sais très bien c’est qui mais sérieusement, pensez-vous que je vais vous dire ça dans un texte? Come on.

J’étais dans la chambre de mon cousin quand j’ai eu l’idée géniale de tirer dans une fenêtre avec le BB gun! Moi, le John Wayne des pauvres. Je me suis installé comme un sniper dans sa fenêtre. J’ai miré la fenêtre de son voisin à gauche…celui qui siphonnait du gaz la nuitte pendant que tout le monde dormait sauf moi! Je me rappelle comme si c’était hier. Comme si j’avais encore le BB gun dans mes mains d’ado gêné d’être dans sa propre peau.

J’ai tiré un coup, un seul coup dans la fenêtre! En plein milieu de la fenêtre, cible parfaite! 

La balle a atterri sur la vitre comme le clou rouillé qui était entré sous mon pied deux jours auparavant! La vitre a éclaté en mille morceaux, complètement éclatée! Une symphonie en plein coeur du Bronx de Lachute! Les feux de La Ronde version pour les pauvres! Moi et mon cousin on était blancs comme des draps! On n’est pas des vrais bums! J’ai pas fait un caca nerveux mais c’est tout juste! J’aurais souhaité être partout sauf là. Même que j’aurais choisi d’être plutôt dans la Vallée de l’Or, c’est vous dire mon désarroi! 

J’ai compris ce jour-là que je n’étais pas un thug! J’ai compris que le crime organisé n’était pas pour moi! Ma carrière de bum venait de se terminer. Je préférais, à 12 ans, me concentrer sur le mystère que sont les filles et l’écriture! Anyway, même si j’avais voulu me battre, il y avait assez de bons batailleurs de mon âge dans le Bronx pour me ramollir assez vite.

Parfois les souvenirs de l’Abitibi se mélangent à ceux du Bronx et du P’tit Canada. C’est ce qu’on appelle vieillir! Je revois plein de visages dans ma mémoire. Ceux de mes cousins nomades, Stef, Marco et André. Ceux des tannants qui rôdaient autour de Ayersville et sur la glace du vieil aréna : les Drouin, les Poulin, Legault, Wilkes…et combien d’autre. Ceux aussi des Durocher qui vivaient avec leur mère…dans le temps, la monoparentale était à la mode dans mon coin.

Ça explique bien des choses, ça brasse des souvenirs! Parfois j’ai mal à mon Bronx. J’aimerais un jour faire un show dans la salle communautaire du bloc 36! J’ai l’impression que mes histoires prendraient toute leur essence! Ce texte est éparpillé comme mon Bronx et c’est voulu ainsi!

Les étés à la piscine Ayers. Le parc de balle, ou ce qu’il en restait, adjacent à la vieille usine Ayers. Les Deschamps, les Lalonde et combien d’autres. 

À 12 ans, j’ai compris qu’un jour je devrais quitter ce quartier! Ce n’était pas pour me penser au-dessus des autres mais à 12 ans, je savais que mon avenir n’était pas ici. Je savais pas comment j’allais y arriver avec mon frame de chat, mon manque de confiance en moi-même, mes mauvaises notes à l’école et ma mentalité d’être né pour un petit pain! 

La vie est un long chemin. Mais même si tu viens du fin fond de Ayersville, tu peux t’en sortir! 

La vie ne s’arrête pas au boulevard de l’Aéroparc! 

*Richard Desjardins, Le bon gars (1990), Album : Tu m’aimes-tu, © Foukinic Editions, Foukinic Inc (les éditions)


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Publié dans Conte, Histoire, Lachute

F’AN D’CHIENNE

En 1851, le bon docteur Pacifique Desrochers arrive en ville! Plus précisément dans la petite ville de Lachute qui ne compte à l’époque que 8% de francophones.

Il arrive en ville sans tambour ni trompette. Je dis en ville, mais en vérité je devrais dire en village. Il est arrivé avec son ventre gargantuesque, son flasque de brandy, son nez gros comme une pétaque et surtout, son certificat de docteur! 

Je dis Lachute, mais à l’époque Lachute n’était pas encore Lachute. C’était tout simplement Argenteuil. Pacifique habitait à côté de Thomas Baron sur la rue du même nom. Un docteur hautement alcoolique, s’il y avait des Olympiques de boisson, Pacifique serait notre digne représentant! Il était d’ailleurs moins nerveux pour les accouchements avec un verre dans le nez.

Un petit peu d’alcool sur les blessures, un petit peu pour le bon docteur Desrochers, ainsi de suite jusqu’à la fin de l’opération! Si jamais le patient mourait sur la table, Pacifique Desrochers n’en avait pas conscience, car il était saoul comme une botte!

Dans sa longue carrière, il aura accouché des centaines de femmes. C’était du travail d’usine ou presque dans ce temps-là! Le curé s’assurait que chaque femme d’Argenteuil se reproduise assez au goût du p’tit Jésus. Le p’tit Jésus était même dans nos chambres à coucher! 

Après le curé, mine de rien, le bon docteur Pacifique Desrochers était l’homme le plus important de la région!

En 1870, pour être plus précis en plein coeur d’un hiver trop long! Au mois de février qui est toujours le mois le plus long même si en théorie, il est le plus court même en année bissextile,une tempête de neige était tombée drue! Le genre de tempête qui empêche les chevaux de galoper. Le genre de tempête qui vous empêche même d’aller à votre propre bécosse dehors.

Lui, le bon docteur Pacifique, était tranquille dans son divan préféré quand le bonhomme Tessier a cogné à sa porte. Pacifique était à vider sa bouteille de brandy. 

Midas Tessier a frappé tellement fort sur la porte qu’il a laissé des empreintes de ses jointures dans le bois d’érable! À l’époque, les portes n’étaient pas faites en mélamine. Midas était à arracher la porte quand le bon docteur Desrochers a répondu! 

Midas Tessier : “Ma femme est en douleur docteur. La mise à bas ne se passe pas comme c’est supposé de se passer! Le bébé est pourtant sorti??? C’est peut-être l’yâbe??”

Pacifique Desrochers : “Non non, Midas voyons! Rien à voir avec l’yâbe! Garde tes bondieuseries pour le dimanche matin.”

Les deux hommes sont partis vers la maison de Midas en pleine tempête! Le genre de tempête à écorner les boeufs!!! Le vent froid du Nord, la neige qui tombe qui s’accumule en bordée pendant que Midas hurle après ses chevaux, lui Pacifique prend des lampées de brandy pour se donner du courage.

Pendant ce temps dans la maison des Tessier, les 12 autres enfants de la famille sont en silence, leur mère souffre le martyre dans la chambre du haut côté! La plus vieille, la belle Béatrice, a déjà le nouveau-né dans ses mains! Un bébé c’est comme un char neuf, ça sent bon! On dit que pour le nouveau-né, c’est une forme de protection naturelle! Les autres enfants sont à égrener le chapelet ensemble à coups de Notre Père, Je vous salue Marie, Je crois en Dieu, Gloire à Dieu pis toutes les prières possibles et impossibles!

Rien à faire, les Dieux sont sourds ou occupés à faire leurs affaires de Dieu!Le ciel est caché par la neige qui tombe. Le soleil, lui, va revenir avec le beau temps. Pendant que les enfants égrènent le chapelet de misère, on peut entendre un loup hurler à sa meute. Les hurlements du loup blessé se mélangent aux cris de douleur de Béatrice Tessier!!! C’est l’apocalypse version Argenteuil! Pendant ce temps-là, le p’tit Jésus sur la croix dans le salon fait de la poussière.

Une heure plus tard, Pacifique Desrochers était au pied du lit de la pauvre Béatrice. Une p’tite gorgée de brandy pour Pacifique, qui s’époumone de rire, un gros rire gras comme sa panse! 

Pacifique : “M’dame Tessier! Vous pouvez bin souffrir le martyre, y’en a un deuxième pareil comme le premier qui veut sortir.”De plus, le deuxième c’était un cas de ‘’chaise’’ comme on dit dans le jargon de la médecine! Il allait sortir du vagin de madame Tessier par les fesses! Cette journée-là, elle allait fendre jusqu’au nombril. 

On pouvait entendre la famille Tessier dans le salon au rythme du Je crois en Dieu.

Je crois en Dieu,le Père tout-puissant,Créateur du ciel et de la terre ;et en Jésus-Christ,son Fils unique, notre Seigneur…

Ça priait sur un ostie de temps dans la chaumière. On pouvait entendre le silence entre chaque respire de madame Tessier mélangé aux cris de douleur! Le deuxième, pareil comme le premier, est sorti de peine et de misère. Madame Tessier saignait comme un cochon qu’on venait d’égorger, elle avait fendu de douleur et chié ce qui lui restait dans le corps! Le deuxième sorti, elle continuait de souffrir quand Pacifique Desrochers de s’exclamer : “*F’an d’chienne, y’en a un 3ième!”

La deuxième plus vieille de la famille s’occupait maintenant du 2e comme si c’était naturel!Le bon docteur Desrochers a sifflé d’une gorgée la bagosse que Midas lui avait donnée! Une bonne bagosse frette à base de p’lure de pétaque! Dans le salon ça priait non-stop, les petits comme les grands. Je vous salue Marie en latin à l’unisson.

Ave Maria, gratia plenaDominus tecumBenedicta tu in mulieribus ;Et benedictus fructus ventris tui, Jesus !

Le troisième était comme les deux autres, identique. Trois pénis de plus à gérer dans la cabane pour Midas. Sauf que lui était plus gros que les deux autres. Pour être précis, le premier, 8lbs et quart, le deuxième, 8 lbs et trois quarts et le troisième, 11 lbs juste. Béatrice Tessier était littéralement au bout de son souffle, au bout de son sang ou presque!Ce n’était pas l’époque de l’épidurale! À frette! Y faut croire que Béatrice n’avait pas encore mérité son ciel, car le docteur Desrochers blanc comme un drap, en sanglots, de dire : “*F’an d’chienne, un 4e… C’est une portée que vous avez là m’dame Tessier!”

Une autre bagosse en arrière de la cravate, que Pacifique avait détachée! Avec le 4e identique aux trois autres, la famille Tessier était maintenant 18! Les quadruplés Tessier étaient arrivés dans ce bas monde en santé, en un morceau, grâce à leur mère. Une force de la nature, Béatrice Tessier! Une petite femme de rien qui n’existait que par la force de ses nerfs! Même pas 5’, même pas 100 lbs mouillée, mais d’une résilience à gêner n’importe qui!!! 

Béatrice a demandé à voir son mari, son beau Midas!Béatrice : “La famille est faite.”Midas : “Oui ma Béatrice d’amour. Demain, j’m’en va avertir le curé que les Tessier sont complets!”

Un bec sur le front et les paupières de Béatrice se sont fermées pour la nuit! Elle n’a pas eu besoin de Morphée, même qu’elle est arrivée avant lui au pays des rêves cette nuitte-là. Le bonhomme avait ses quatre garçons dans ses grands bras de bûcherons, quatre petits pleurnichards au début du début de leur vie, même pas 24 heures dans le corps! Midas s’est endormi au son de ronflement et à la chaleur de ses quatre futurs tannants! Ça ronflait les cinq sur un ostie de temps s’a berçante à Midas!

Pacifique Desrochers bin saoul est reparti comme de rien, reconduit par le plus vieux dans la barouette de la famille! Les petits miracles de Pacifique étaient possibles seulement grâce à la résilience des femmes d’Argenteuil! 

Et le lendemain, Béatrice était la première deboutte. Ça sentait le bacon partout dans la cabane!Elle prenait la vie par ses cornes pis laisse-moi te dire que la vie n’était pas emmanchée pour jouer aux bras avec elle!

 *F’AN D’CHIENNE!!!!!*Expression de Sorel
*Photo de la collection de ville de Lachute

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