
Les histoire du Barbu de ville #10

L’histoire de cette semaine: Fidèle
Mes contes directement où ils ont pris leurs essences.
Avant Les Algonquins, avant même les premiers habitants du comté d’Argenteuil, la rivière du nord suivait son courant depuis longtemps. Cette rivière est arrivée avant le ciel et le soleil, avant toute forme de vie. Elle est là depuis la nuit des temps. Là depuis l’existence du temps et peut-être même avant!
De vieilles histoires amérindiennes racontent depuis longtemps l’existence d’un genre de monstre ou de dragon dans le ventre même de la rivière du nord. Les tribus de Huron, d’iroquois, de montagnais et d’Algonquins racontent la même histoire ou presque à travers leurs légendes.
Le mythe est poussiéreux, mais toujours là. On raconte que la bête apparaissait sous forme de rêve comme un mauvais présage pour la suite des choses. Comme si elle annonçait son arrivée même dans les rêves. Une bête préhistorique aux limites de l’imaginaire qui traverse les dimensions.
Parfois au printemps la rivière du nord s’emporte c’est peut-être pas à cause de la crue des eaux finalement!! C’est peut-être la fameuse bête qui a déjà emporté dans son ventre des hommes et des chaloupes. On raconte à travers les ouï-dire que la bébitte sort la tête de l’eau seulement à la noirceur, les soirs de lune pleine.
Heureusement pour les habitants du p’tit Canada, le monstre de la rivière du nord n’a pas de patte parce que les nuits du quartier auraient été silencieuses après quelque temps faute de population!
Un monstre de même ça ne mange pas des hommes, ça mange des populations. Ça génocide toute sur son passage, provoque des vagues d’océan dans une rivière. Ça tsunami les wawarons, oblige les corbeaux de malheur à rester sur place. Catastrophe plein de catastrophes!
Puis quelque part autour de 1916, un bonhomme Untel aurait aperçu un genre de dragon aux abords de la rivière du nord, un soir de lune pleine, un soir de ciel étoilé comme ça ne se peut pas. Un ciel presque aussi clair que le jour avec des aurores comme dans le Grand Nord majestueux.
Ce soir-là, la forêt à McKenzie tremblait de ses feuilles, le chaos était pogné au coeur de McKenzie, dame nature ne savait où donner de la tête, les écureuils mangeaient leurs provisions, les castors déménageaient leur barrage de peine et de misère.
Les loups faisaient des petits cacas nerveux même en meute, les ours allaient hiberner même si on était qu’au début de juillet, les corbeaux comme s’il regardait la scène sur YouTube croassaient de bonheur!
Le bonhomme Untel n’était pas un hurluberlu comme on dit dans le quartier. Il n’a jamais menti plein sa «yeule» de mémoire d’homme. Sur le bord du quai, il avait perdu la parole. Sous le choc, ses cheveux ont blanchi d’un coup et ses sourcils sont disparus à jamais. Je ne raconte pas des menteries ici c’est archivé dans le grand livre de la ville de Lachute à la page 37, plus précisément à la ligne 15 noir sur blanc.
Le bonhomme Untel a raconté son histoire une seule fois, il n’était que de peu de mots. Jusqu’à sa mort on a pensé que le vieux était un menteur, on le pointait du doigt dans la rue même que certains lui lançaient des roches. Lui le bonhomme a été enfermé dans son silence jusqu’à sa mort ou presque. Il aurait gagné toutes les parties de «celui qui parle en premier». Je n’en ai aucun doute.
Il aurait raconté son histoire une dernière fois sur son lit de mort à son frère Maurice, le pompier qui n’avait jamais éteint un feu. La voix chevrotante presque éteinte au bout de sa vie de supposé menteur. Maurice a laissé parler son frère comme si c’était son devoir de frère de l’écouter même s’il ne le croyait pas une seconde. Et le bonhomme Untel est mort au bout de sa dernière phrase…«Chu pas un menteur».
Un silence de mort embaume la petite chambre, les murs gris, la grisaille du temps et un spleen aussi profond que peut l’être cette maudite rivière. Le bonhomme Untel avait parlé d’un dragon à deux têtes, d’une bête aux allures mythique. Les yeux dans l’eau comprenant que même son propre frère le croyait fou.
L’eau a coulé en masse sous le pont noir, l’eau allant vers les rapides de Price Wilson, entre les roches et le temps. Puis un jour le petit fils du bonhomme Untel qui était comme son arrière grand-père, un émérite pêcheur, un gars de chaloupe, un gars qui se laisse emporter au gré du courant. Nous étions en 1971, là où il faisait bon de lancer sa sécheuse dans l’eau si elle ne fonctionnait pas.
Le coucher de soleil était magnifique, teinté de rouge devenu presque rose. À l’horizon de la rivière du nord, le temps s’était arrêté pour Théodore le temps de la partie de pêche. Au milieu de l’eau à rêvasser, à regarder le temps passer. Le petit bonheur était dans la chaloupe aussi juste à côté de la canne de ver de terre.
Un je ne sais quoi était différent, les wézo étaient agités ça volait pas haut quasiment à ras le sol. Le temps a changé d’air assez rapidement, le temps que Théodore se penche pour enfiler un ver sur son hameçon. Le ciel est devenu noir, mais quand je dis noir, je dis noir!
C’est comme si la rivière avait disparu pour faire place au néant. La chaloupe et Théodore dans les limbes en quelque sorte sans le vouloir. Pis comme une révélation est apparu un immense dragon à deux têtes qui cachait même la lune pleine.
Des flammes sortaient de sa gueule, il a déchiré les aurores à ce qu’on raconte depuis ce jour il n’y a plus d’aurore dans le p’tit Canada. Le dragon a regardé Théodore droit dans les yeux puis une odeur de mort entre les deux faisait sa place.
Théodore s’est réveillé et son lit était trempé de pisses. Un mauvais rêve, un présage? Peut-être que le bonhomme Untel a rêvé lui aussi, un rêve ancré dans le réel qui lui a peut-être fait oublier la réalité? Un rêve qu’il aurait voulu vrai finalement.
J’aime penser que le dragon à deux têtes est encore dans le ventre de la rivière que ce n’est pas juste une autre histoire de pêche.