Publié dans ANECDOTE, BASEBALL, Voyage

Heureux qui comme Robbie

Robbie aime le silence, la Michelob Ultra, les Phillies, sa femme Marlyne, Hank Williams et le silence.

Robbie a 60 ans cette année, il compte les dodos qui lui restent avant la retraite. Il était mon voisin de chambre de motel à Wildwood lors de notre semaine de vacances en famille. À chaque matin, nous nous retrouvions au  Coffee Shop. Moi j’allais chercher du café pour moi et ma blonde et lui de même.
Robbie: Good morning Pat!
Patrick: Good morning Sir!
Robbie: Life is good with you?
Patrick: Yep! What about you old man?
Robbie: Nice and easy.
C’était notre conversation vers 8:30 en avant-midi chaque matin! Après, Robbie allait s’enfermait dans son silence.
L’après-midi, il écoutait ses Phillies sur une petite radio transistor avec sa femme. Un après-midi,  je me suis assis avec lui pour écouter ses Phillies contre les Mets. Nous avons échangé quelques silences durant la partie. À la 7e manche, le gros Duda des Mets a assommé les Phillies et Robbie avec un circuit.
Robbie: Fuck! Fuck! Fuck! Damn Phillies! Enough!
Il ferma la radio d’un coup sec. Puis il s’ensuivit un long silence. Pendant ce temps là Marlyne fumait une ixième Marlboro en jouant au poker sur son iPad!
Moi: Hey Robbie, si tu avais la chance, avec qui tu aimerais lancer la balle chez les Phillies?
Robbie: …
Moi: Tu as le droit de choisir dans les joueurs du passé aussi! Pis tu peux pas prendre Mike Schmidt, c’est un 3e but…
Robbie: Aucun. Je choisirais de lancer avec mon père. J’ai pas assez lancé avec mon père.
Marlyne a arrêté de fixer son iPad. Le silence envahit soudainement le nord de Wildwood et embaume le ciel au-dessus de nos têtes. Le silence s’est étendu jusqu’en Pennsylvanie et peut-être même dans tout l’état du Maryland. Robbie a les yeux plein d’eau et prend une bonne gorgée de Michelob Ultra! Notre malaise mutuel était à couper au couteau!
Robbie: Mon père adorait les Phillies. J’ai été voir deux games avec lui avant qu’il meurt, j’avais 6 ans. Je m’en souviens comme si c’était hier. Mon père est mort au Vietnam. La vie est fragile Pat! Life is a bitch! J’ai jamais oublié, jamais.
Moi: Désolé pour la question!
Robbie: Désolé pour la réponse.
Qu’il dit en riant. Nous rions à gorge déployée pour ne pas pleurer, j’imagine. Nos rires sont aussi jaunes que le soleil de Wildwood et aussi faux que les seins de mon autre voisine de palier et ce n’est pas peu dire.
Nos chemins ont continué de se croiser le matin au Coffee Shop! Et pour une dernière fois le matin de mon départ…
Robbie: Hey Pat! Bonne route! J’voulais te dire, je t’ai regardé toute la semaine agir avec tes deux enfants pis tu es un fucking good father, fucking good. Damn good. OK? 

Dit-il en mettant son gros doigt d’électricien dans le creux  de mon épaule.
Moi: Quand je vais retourner chez-nous pis que je vais lancer la balle avec mes enfants, je vais avoir une pensée pour toi old man! Thanks Robbie.

Et à mon tour, j’écrase mon petit doigt de presque fée dans son épaule de vieux électricien.
Robbie: Mon autre choix ç’aurait été de lancer avec toi, Pat!
Nous nous sommes regardés. Nous avons couru comme des enfants dans nos chars respectifs et sorti nos mites pour se lancer quelques hardballs au beau milieu de la Ocean Avenue comme deux enfants de 6 ans. Et tout ça 10 minutes avant notre départ.
Le ciel de North Wildwood était d’un bleu carte postale, il faisait contraste avec le bonheur d’un partisan des Phillies et des Expos.
Nice and easy old man!

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Publié dans ANECDOTE, Bouffe, Foodies

Escudo

J’ai découvert un petit trésor Portugais vendredi passé lors de mon heure de dîner.
Mon ami Justin me parlait de ce petit resto de rien du tout depuis longtemps. Faut savoir que l’ami en question n’est pas du genre émotif, il est plutôt du genre pragmatique. Il m’en parlait avec admiration.

Il faisait -1000 cette journéelà. Pour être plus précis cétait autour de -25 au soleil!
La neige craquait sous mes bottes. L’hiver est bel et bien installé au Québec.
On arrive devant le fameux restaurant. Il est situé dans un genre de centre d’achat où chaque petit magasin à son entrée. Il est situé au milieu de nulle part. Le stationnement est horriblement petit mais comme je suis venu pour manger, je me fous du stationnement.

En entrant, vous savez que vous êtes arrivé quelque part! Je n’étais plus au Québec c’est comme si je m’étais téléporté quelque part à Lisbonne. Nous étions littéralement enveloppés dans une ambiance cosy. Au comptoir, six chaises pas une de plus. Au bout du resto fait en long, une table pour 4 petites personnes. Bien sûr que si petit le resto offre le service de livraison et les take-out. Nous nous sommes assis, j’avais l’impression d’aller à la messe. Le moment était solennel. Oui c’est en plein ça, l’Escudo c’est une petite église. Elle est remplie d’âme. J’étais devant l’hôtel et j’attendais ma bénédiction. Derrière nous de beaux présentoirs en vieux bois de produits européens. Des vinaigres, des huiles, de la farine, un paradis pour l’épicurien en moi.

En arrière du comptoir un gars passionné. De toute évidence un Portugais. Je vous avais déjà dit que dans un autre vie j’ai été Sherlock Holmes. Le cuisinier/serveur/homme orchestre travaille en sifflant. Il porte la queue de cheval et un air casual. Il ne court pas en arrière de son comptoir (la vita é bella). Il a l’air au-dessus de ses affaires et j’adore ça. Son partenaire serveur/cuisinier/livreur remplit une  »tub » avec du bon vieux charbon. Lui n’a pas de cheveux mais comme l’autre, il est au-dessus de ses affaires.

Mon ami Justin commande et je prends exactement la même chose que lui. Je lui fais confiance les yeux fermés. Donc ça va être une cuisse de poulet au charbon, des frites descendues directement du ciel pour nous, une salade toute simple et une petite Sumol en bouteille (liqueur Portugaise).

Le repas des dieux est prêt. L’homme-orchestre Portugais nous demande une première fois comme si cétais plus un ordre qu’une suggestion:

Homme-orchestre (en regardant notre poulet): Épicé!
 
On accepte sans rouspéter. Il met un genre de moutarde sur nos cuisses. Je pourrais pas vous dire quel genre de moutarde mais je peux vous dire qu’elle a été faite avec amour et passion.

Homme-orchestre (en regardant nos frites): Épicé!
 
Oui

Homme-orchestre (en regardant encore notre poulet): Épicé!
 
On répond encore par l’affirmative et il badigeonne notre poulet avec un genre de sauce avec un pinceau comme s’il était Picasso.

Son partenaire s’en va faire des livraisons, l’homme-orchestre est maintenant seul.
On mange, on boit, on savoure, on parle pas beaucoup car c’est comme si on mangeait le Portugal. Nous avons la bouche pleine de bonheur. Et pendant qu’on se bourre la face comme deux mécréants, le cuisiner prépare dans notre face une poutine au chorizo sur laquelle il déverse un océan atlantique de sauce onctueuse. J’ai la bouche grande ouverte.

Homme-orchestre: Non, j’peux pas t’en vendre là, tu vas dormir dans ta shop après-midi!
 
Je laisse ma bouche ouverte pour rire un bon coup.

Homme-orchestre: On est prêt pour le dessert les gars?
 
Oui mon père!

Il sort de son présentoir à dessert, une minuscule tartelette! Du genre dessert minimaliste.

Homme-orchestre: Vous pouvez la manger froide ou je vous arrange ça à la mode.
 
À la mode svp!

Homme-orchestre: Épicé!
 
Oui.

Petite tartelette cuite directe sur le grill au charbon! Direct dans la tub. Petit dessert anodin que je croyais. Simple et bon. Le nom de la tartelette de rien? NATAS mais demandez à la mode, je vous en prie!

Après le dessert j’aurais aimé recommander un ordre de frites, c’est vous dire comment que les frites dépassaient l’entendement et je ne vous parle pas du poulet car je n’ai pas de mots qui puissent rendre justice à ce poulet.
 
Repas complet avec liqueur et dessert: pour deux 33$
Bon, simple et folklorique.
 
Épicé!!!

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Publié dans Lachute, NOUVELLE LITTÉRAIRE

édouard et Valérien


À l’automne d’une surprise, en octobre de l’an 1894


Joséphine est en douleur. Son mari Napoléon ne peut que la regarder souffrir. Elle a commencé sa mise bas il y a déjà 36 heures. Le bon docteur Pacifique Desroches est tellement au boutte de ses solutions qu’il a demandé à son infirmière un chapelet pour la suite de l’accouchement.

Dehors, il ventait à écorner les boeufs, des arbres aux feuilles de toutes les couleurs en perdaient leur plumage. Un vieux chien finissait sa vie entouré d’une meute de loups affamésLes sifflements du vent embaumaient la côte de sable, pendant que Napoléon Beauséjour priait les deux genoux au sol en face de l’énorme crucifix du salon. Les hurlements des loups à la lune et les cris de Joséphine aux saints du ciel s’entremêlaient à l’ombre de la nuit.

Pendant ce temps-là, dans le ventre de Joséphine, la légende dit que le p’tit Édouard retenait son frère Valérien par les pieds, question de rester le plus longtemps possible dans le ventre chaud de sa môman. Édouard n’aimait pas le changement. Même avant de naître, il était accroché à ses habitudes. Déjà, dans le ventre de sa môman , Édouard avait peur. Il était probablement le plus pissou des pissous à l’est de la Rivière du Nord tant et tellement, que sa réputation avec le temps a fait le tour du comté d’Argenteuil, des Laurentides au complet et dune bonne partie de Lanaudière. Il n’était qu’un embryon et déjà, il avait peur. C’était dans sa nature profonde. La peur était le moteur de son existence.


Il avait peur de découvrir ce qu’il y avait au-delà du tunnel. Valérien lui était prêt depuis la 40e semaine de grossesse de sa mère. Il poussait avec vigueur comme celle d’un futur gars de cour à bois. Il poussait avec les mains, les pieds, la tête, peu importe, il poussait, il avait le désir de se mettre au monde! Après 47 heures, Valérien sest retrouvé dans les bras du bon docteur Desroches. Édouard ayant échappé son frère, son lui-même qu’il pensait, ne pouvait plus imaginer la vie dans le ventre de sa mère sans Valérien. Il poussait lui aussi comme son frère, par en avant, mais avec peur. À la surprise du bon docteur, de sa mère, de son père, Édouard est arrivé dans le vrai monde comme une mauvaise surprise.

Il est arrivé à 1 minute d’intervalle et tellement rapidement, que Joséphine n’a pas eu besoin de pousser pour le deuxième des jumeaux. Valérien était au sein de sa mère pendant qu’Édouard était bouche bée dans les bras du docteur. Il regardait la face embrouillée du gros docteur, la bouche toute grande ouverte et il tremblait de peur. Il était terrifié et cherchait son grand frère des yeux, celui qui avait une minute de plus dexpérience de vie que lui! Avec bonheur et réconfort, il découvrit un deuxième ami après Valérien, c’était le sein gauche de sa mère. La chaleur du gros sein l’enveloppait comme à l’époque où il était un foetus.

Sans le sein gauche ou Valérien, Édouard pleurait sans cesse, presque toujours jusqu’à épuisement. Il pleurait de peur. Il a longtemps pensé que le bon docteur Pacifique Desroches était le Bonhomme Sept Heures déguisé en docteur.

Les premiers et derniers jumeaux dans l’histoire des Beauséjour étaient nés. Depuis ce jour jusqu’à aujourd’hui, aucun Beauséjour n’est arrivé en double, c’est vous dire comment ils étaient spéciaux les jumeaux de Napoléon.
Janvier 1897, cest l’hiver de toutes les misères, celui qui a vu la cour à bois de Napoléon s’envoler en fumée! La fameuse  »Lachute Number » était la proie des flammes à -30°. Le gagne-pain des Beauséjour n’était plus après seulement quelques heures.

À l’époque, les pompiers roulaient en chevaux et traînaient avec eux leurs eaux. Ils sont arrivés au galop, faisant sonner la grosse cloche qui leur sert de sirène! Mais il était déjà trop tard.
Napoléon avait les deux genoux à terre et pleurait toutes les larmes de son corps, toutes les larmes d’une vie. Il pleurait l’héritage qu’il voulait laisser à ses fils!
En même temps que Napoléon, dix autres personnes de la région perdaient leur emploi.Napoléon Beauséjour est rentré chez eux, le coeur quelque part dans les décombres de  »Lachute Number ». Napoléon et Joséphine étaient un duo increvable. Ils se sont mariéà l’époque pour le meilleur et pour le pire. Avec le temps, ils ont rebâti leurs shop à coup d’huile à bras, de sacrifice et d’un amour sincère.


Édouard a déjà trois ans. Il passe ses journées à avoir peur et à voler des gorgées du biberon de sa p’tite soeur. Un bon soir, il joue avec son frère dans le salon à faire des ombres sur le grand mur blanc. 
Il s’amuse à faire des ombres chinoises, éclairé par la lumière des chandelles et de la lampe à l’huile. Tout à coup, sur le mur, Édouard aperçoit sa propre ombre. Il devient blanc comme un drap! Il crie comme un cochon qu’on vient d’égorger. Il court et va trembler sous la grande jupe de Joséphine.

Édouard pointe son ombre à sa môman

 Édouard: Ma-mannnnnnnnnn.
Il pleure à chaudes larmes, il est inconsolable aux limites du délire!

 Joséphine: Pauvre garçon, tu as tellement peur, peur de toute que tu as même peur de ton ombre. Colle ta môman.

Joséphine retient son rire, car la situation est cocasse malgré son côté dramatique. Le soir venu, elle en fait part à son mari qui racontera le tout à ses amis et ainsi de suite.Joséphine et Napoléon avaient créé un mythe sans le savoir.

La rumeur était partie! Et dans le temps il n’y avait rien d’autre à faire pour passer le temps que de se conter des peurs.
La rumeur disait que dans le coin de Lachute, un p’tit gars avait eu peur de son ombre. Le p’tit bonhomme était tellement pissou qu’il avait peur de lui-même.


La rumeur courait à une vitesse vertigineuse, plus vite que la vitesse du son et de la lumière. Elle était rendue dans tous les magasins généraux de la province, du bas du fleuve au bas St-Francois, de Baie-Comeau à l’Île Jésus, d’Alma à Sherbrooke, et même jusqu’aux limites de l’Abitibi. On disait de quelqu’un de peureux qu’il avait peur de son ombre comme Édouard.
La rumeur a fait sa tournée paroissiale de toutes les paroisses du Québec pour revenir sur le parvis de l’église St-Julien à Lachute. Elle est revenue en pleine face d’Édouard, devant ses parents. Édouard avait maintenant 6 ans, on était en 1900.


 Un badaud: Comme ça c’est toé ça, l’fameux Édouard qui a peur de son ombre. Viens j’vas t’montrer à ma femme pis à mes frères…. Hahahaha!

Édouard faisant honneur à sa réputation, est allé se cacher derrière la grande jupe de sa mère. Tremblant comme une feuille d’érable à la vue de l’hiver. Et tout le monde sur le parvis sest mis à rire, d’un genre de rire gras qui résonna pendant bien des années dans le coeur d’Édouard et de celui des Beauséjour.

À l’école de rang, la seule chose qu’avaient les deux frères Beauséjour en commun était le fait qu’ils étaient identiques physiquement. Pour le reste c’était comme sils étaient des étrangers.
Valérien avait plein d’amis, les filles voulaient lui donner des becs sucrés, la
maîtresse d’école voulait lui en donner aussi, l’arithmétique n’avait pas de secret pour lui, il était le chouchou de tous, un genre d’attraction.


Édouard était la tête de Turc de la tête de Turc, tellement que les filles n’avaient aucune idée de son existence. Il se fondait au mur drabe de l’école. Et pourtant, il était identique à son frère, mais tout était dans l’attitude. Le jour où l’attitude passa sur la côte de sable, Édouard était occupé à avoir peur des grenouilles dans le  »crick » pas loin de chez eux. Oui oui, il avait peur des grenouilles comme il avait peur de tous les poissons qu’il pouvait y avoir dans la Rivière du Nord.
Comble du comble, il était un des premiers enfants de la région à porter des lunettes.
Il n’est pas facile d’exister quand la peur habite avec vous dans votre corps, avec en prime des fonds de bouteille en guise de barniques.


La pire des malédictions qui pouvait vous tomber dessus quand vous étiez à l’école de rang, c’était d’être un gaucher. Vous avez deviné, chers lecteurs et lectrices, que notre joyeux drill Édouard était un gaucher. Et quand Édouard était le centre d’attraction, il devenait nerveux, gauche, incontrôlable, tant et tellement qu’il en perdait même le contrôle de ses sphincters.
Pendant que lui recevait de nombreux coups de règle sur les doigts, sur les jointures, dans la paume de ses mains pour l’aider à devenir un faux droitier, son frère était un droitier tout simplement. Son surnom à l’école et partout dans le comté d’Argenteuil était « Le gauche à barniques« .
Malgré tout, Édouard est passé à travers l’école comme un grand brûlé qui brûle pour une deuxième fois. Son grand frère d’une minute de plus que lui l’a toujours supporté dans ses malheurs. 

Valérien est vite devenu le protecteur de son frère. Valérien aimait d’un amour profond son frère et son frère l’aimait d’un amour profond. Valérien avait l’espoir que son frère un jour se débarrasse de sa maudite peur, celle qui avait poussé à travers ses os tellement elle était imprégnée.

En fait la peur avait poussé au même rythme que lui. Qu’il soit écrit dans ce texte qu’une seule personne ne l’a jamais surnommé  »Le gauche à barniques ». Il s’agit de son propre frère Valérien, le juste. Même sa mère et son père ont fini par le surnommer ainsi
Conscription oblige

En 1918, c’était la quatrième et dernière année de la Première Guerre mondiale. 1918, c’est l’année de l’enrôlement obligatoire pour tout Canadien français qui avait 18 ans, incluant Édouard et Valérien Beauséjour. Les frères Beauséjour reçurent l’ordre de se rendre à Montréal pour signer les fameux papiers et partir vers Val-Cartier. Ils allaient devenir des soldats du mythique 22e régiment. Un régiment ayant seulement des Canadiens français dans leurs troupes.

Pendant qu’Édouard lisait la fameuse lettre, on pouvait sentir une odeur d’urine autour de lui. Le squelette dans le corps d’Édouard a chié dans ses culottes. Édouard n’a fait ni une ni deux, il est parti rejoindre son frère trop jeune pour s’enrôler, Joseph. Il est parti se cacher dans la forêà Mackenzie. Lui qui détestait bûcher du bois, il s’était soudainement découvert une vocation pour le métier de bûcheron. 

C’était mal connaître l’Armée canadienne. Les  »MP » avaient pour mission de retrouver tous les pissous qui avaient osé défier l’autorité gouvernementale.  »MP » c’est pour Military Police ou si vous aimez mieux, Police Militaire. Un gros M avec un grand P, c’est ce quy cherchait notre pauvre gauche à barniques.

Avant de s’enfuir dans le bois, Valérien avait dit à Édouard:

– Valérien: L’frère on est aussi ben d’aller se présenter au bureau de Montréal plutôt que de se sauver comme des bandits de grand ch’min. Jai la chienne comme toé, mais une chose qui me voleront pas, c’est mon honneur.

 Édouard: Moé, j’me pousse pis ton honneur tu peux ben t’le fourrer dans l’cul…

Trois semaines plus tard…

Édouard est assis à côté de son frère, ils sont rendus à Val-Cartier et ils partagent des lits superposés. Les  »MP » ont retrouvé Édouard, caché sous une batterie de cuisine dans un camp de bois à Mackenzie.
La rumeur qui circule depuis ce jour dans les rues et boulevards de Lachute c’est que le bonhomme Mackenzie a reçu une bonne somme de bills du Dominion pour dénoncer ses bûcherons de fortune. Les  »MP » n’ont pas eu à chercher longtemps.

Le traitement militaire a duré un mois. Course à pied, maniement du fusil, transport de sac à dos, entraînement intense… l’armée canadienne avait pour mission de préparer des simples citoyens au combat. Après un mois de préparation, Édouard était toujours aussi pissou et sur la base militaire, il était devenu l’exemple à ne pas faire.
Mais malgré tout, le pays avait même besoin des mauvais exemples.
Les Beauséjour et les autres Canadiens français jouaient aux soldats.
Les soldats Édouard et Valérien Beauséjour sont partis de Val-Cartier avec le 22e régiment le 6 juillet 1918 vers Chérisy dans le nord de la France.

Être ou ne pas être puceau

Rendus en France, les deux frères avaient un objectif avant d’aller au front. En fait tous les Canadiens français avaient un objectif à part revenir au pays et c’était de ne plus être puceaux. La logique derrière ce fait était  »d’in coup qu’on meurt ».
Personne, mais personne ne veut mourir puceau, tout gars qui se respecte veut connaître le plus grand des plaisirs sur cette Terre. Heureusement pour le soldat Canadien français, à cette époque, il ne manquait pas de filles de joie dans le nord de la France.

Les deux frères, Turcotte, Loiselle pis Bilou Gagné étaient dans la même condition. Ils cherchaient celle qui allait les faire devenir homme, rien de moins.Un seul des pauvres soldats allait rencontrer son destin, les autres étaient beaucoup trop gênés pour aller demander à une fille de joie. Notre antihéros Édouard par un beau soir a rencontré une belle Française, fille de fermier. Elle était seule et gênée, il était mal habillé, mais décidé. Elle s’appelait Églantine. Elle était plutôt grassette, mais belle comme le jour dans sa robe fleurie. Et avait un sourire à faire tomber un régiment de soldat.

Ce qui devait arriver arriva….
Le même soir, l’ancien puceau est rentré dans le camp fier comme un paon. Il avait le torse bombé comme un Beauséjour. Tous les gars du 22erégiment lui ont fait la bascule, on avait oublié la guerre pour un instant grâce aux exploits du chevalier à barniques. Tous les gars du camp ont entouré Édouard pour qu’il raconte son après-midi merveilleux…

 Bilou Gagné: Envoye, conte nous ça! Elle avais-tu des gros seins ta belle Française?

 Lazy Loiselle: Pis ses fesses y’étaient-tu douces?

 Le grand slaque à Turcotte: Comment ça marche? Tu rentres ça comment?

 Édouard fâché: Hey les gars, un peu de respect pour Églantine.
Mon Églantine c’est comme un poème de Nelligan, c’est un vaisseau dor!Pis ce que j’ai vécu avec ma belle Française c’est entre moi pis elle. C’est nos beaux souvenirs. C’est tu clair TABARNAK? Églantine c’est une fille distinguée!

 Bilou Gagné: Fa moé rire, distinguée! La fille s’écartille après un après-midi de fréquentation pis tu vas me dire…

Bilou n’avait pas fini sa phrase qu’il était sur le cul, se demandant ce qui venait de se passer. Le nouveau Édouard lui avait donné un  »uppercut » de tous les diables en plein milieu du menton. Ce fut la dernière fois que les gars ont achalé Édouard à propos de sa belle Française.

28 août 1918
Les soldats du 22e bataillon ne le savaient pas encore, mais ils allaient vivre un moment historique. Ils allaient vivre la grande bataille d’Arras, la deuxième menée par les Canadiens français. 
Édouard, Valérien, Bilou, Lazy et le grand slaque avaient un rendez-vous avec le destin, celui de jeunes hommes à peine à l’ombre de leurs 20 ans.
Ils avaient en guise de cadeau, un fusil avec un poignard au boutte, question de continuer à se battre si jamais ils manquaient de balles et un beau  »cass » en métal qui devenait un bol à soupe si jamais on avait faim.
Le temps était gris, c’était un beau temps pour rester sous les couvertures dans le camp et se conter des peurs. Le 22e régiment a attaqué les Allemands de façon magistrale. 
Un merveilleux guet-apens qui allait, avec le temps, faire très mal et qui allait mener au traité de paix du 11 novembre 1918.
Édouard était dans une tranchée aux côtés de son frère quand un bâton de dynamite a éclaté dans leur trou. 
Un bruit sourd se fit entendre, le genre de bruit qui vous arrache une oreille et qui vous magane l’autre pour la vie. Le genre de dynamite qui vous arrache une jambe complètement et qui envoie votre chum  »Lazy » Loiselle en morceaux aux quatre coins de la France.

**Pause dans le texte**
 »Lazy » Loiselle c’est un gars de Saint-Félicien. Un bon diable pas méchant pour 5 cennes avec un coeur gros de même. Un autre gars qui ne voulait pas aller au front, mais qui sest présenté seul de son propre chef à Montréal pour l’enrôlement. Il était parti de son coin de pays pour la première fois avec comme seul bagage, un sac avec deux tartes aux bleuets de sa mère.
Il était juste en arrière de Valérien dans la file de lenrôlement. Un brave soldat ce  »Lazy » Loiselle et depuis ce jour, il repose en paix aux quatre coins du pays de nos ancêtres.
Édouard crie de toutes ses forces, il crie le nom de son frère… un cri qui vient du plus profond de son être.

 Édouard: VALÉRIEN, VALÉRIEN, VALÉRIEN, VALÉRIEN OSTIE…

Valérien est au sol une jambe en moins, elle a éclaté littéralement.
Édouard lui fait un garrot de fortune et l’embarque sur ses épaules, cellesdu chevalier à barniques. À côté d’eux, il y a Bilou Gagnéagonisant. Édouard le prend sur son autre épaule de chevalier à barniques. Comment est-il sorti du trou? Jusqu’à ce jour, ça demeure un mystère! 
Édouard court sur 4 km avec les deux hommes sur ses épaules. Il se rend jusqu’à une tente de fortune qui servait d’hôpital pour les soldats blessés.Quatre longs kilomètres, pour celui-là même qui avait eu peur de son ombre.
 Valérien, une jambe en moins: Mon frère, mon Édouard, j’vas leur dire que t’es brave, que t’étais le plus brave de toutes nous autres. J’vas leur dire que tu nous as traînés sur 4 km. Édouard, c’est un honneur d’être ton frère.
 Édouard: Tu m’as toujours protégé mon frère. T’as toujours été là pour moé. Pis ya pas un câlisse d’Allemand qui va jouer aux bras avec toé devant moé.
Édouard embrasse son frère et met sa main sur son coeur. Il quitte avec les deux mains bien prises sur son fusil en criant…
 Édouard: J’ai pus peur de mon ombre, j’ai pus peur…

Lettre de l’autre bord
La mère d’Édouard a dans sa boîte aux lettres, une lettre de l’Armée canadienne. Il n’est jamais bon signe de recevoir une lettre de l’autre bord en temps de guerre. On peut y lire:

Le soldat Édouard Beauséjour sest battu courageusement jusqu’à son dernier souffle. Il est mort comme un brave au front et ainsi il recevra la croix de guerre.

Joséphine pleure doucement son fils et embrasse la lettre. Elle pleure celui qui était toujours sous sa jupe. Son petit Édouard tant aimé.

Pour fin historique…
Édouard a abattu plusieurs Allemands avec un s.
Le grand slaque Turcotte en fut témoin et la preuve vivante jusqu’en 1981. Selon lui, Édouard était le meneur des troupes, le premier au-devant. Trois mois plus tard, c’était la signature de l’armistice, le 11 novembre 1918. À la fin de la Première Guerre mondiale, le 22e régiment compte 1074 morts dont Édouard Beauséjour,  »Lazy » Loiselle et 2 887 blessés dont Valérien Beauséjour, Bilou Gagné et le grand slaque à Turcotte.

Valérien à son retour a fait publier une longue lettre dans le journal local L’Argenteuil pour que plus jamais on nutilise l’expression « Avoir peur de son ombre comme Édouard ». En respect au brave homme qui a combattu pour la paix et pour laisser son frère reposer en paix. Ce qui fut fait et partout dans la belle province, on a respecté ce souhait et depuis ce jour, le nom d’Édouard n’est plus dans l’expression.